Faucons et colombes s’affrontent à la BCE
Le Monde samedi 2 mai 2009
La récession, peut-être même la dépression, qui frappe l’économie européenne, ses conséquences dramatiques sur la production, les revenus et l’emploi des ménages, n’ont pas eu raison des querelles intestines au sein de la Banque centrale européenne (BCE).
Comment soulager une économie malade ? Jeudi 7 mai, l’autorité fera part de sa décision de politique monétaire. Les avis des gouverneurs de la BCE divergent : les "faucons", partisans d’une politique rigoureuse, s’opposent farouchement aux "colombes", favorables à plus de souplesse.
Dans le premier camp, on compte, notamment, l’influent Axel Weber, gouverneur de la banque centrale allemande, le Luxembourgeois Yves Mersch ou encore Jean-Claude Trichet, président de la BCE.
Pour eux, la crise est grave mais ne doit pas faire perdre le sens de la mesure. Pour lutter contre la récession, relancer le crédit et la consommation, l’arme monétaire doit être utilisée avec calme et modération. Après avoir baissé les taux de 3 points depuis août 2008, jusqu’à atteindre 1,25 % en avril, la BCE "a encore un peu de marge", estime M. Weber, mais il n’est pas question d’aller en dessous de 1 %. Les faucons ne veulent pas se retrouver dans la même situation que leur homologue américain. Aux Etats-Unis, pour relancer l’économie, la Réserve fédérale (Fed) a ramené ses taux directeurs à zéro. Aujourd’hui, "ils n’ont plus beaucoup de cartouches", constate Jean-Louis Mourier, économiste chez Aurel BGC. Or l’économie américaine continue de plonger.
Au premier trimestre, l’activité s’est contractée de 6,1 % en rythme annuel. Et la BCE sait qu’à la mi-mai la croissance du produit intérieur brut (PIB) de la zone euro pour la même période sera rendue publique, et que ce chiffre sera très mauvais. Les faucons veulent montrer que la BCE peut encore agir dans la tourmente.
Enfin et surtout, ils veulent éviter la "trappe à liquidités", selon M. Mourier. Un piège auquel le Japon n’a pas échappé dans les années 1990, sa "décennie perdue". Là-bas, la baisse des taux à zéro a été inefficace. Face à cette maigre rémunération du crédit, les Japonais ont préféré garder leurs liquidités plutôt que de les placer ou de les prêter.
Les durs de la BCE veulent donc attendre. Pour les économistes, ces faucons devraient l’emporter sur les colombes. "Les taux vont baisser, c’est certain, prédit Jean-François Robin, stratégiste taux chez Natixis, mais une baisse de plus de 0,25 point, on peut s’asseoir dessus !" Pour les colombes, comme les gouverneurs espagnols, irlandais, grecs ou chypriotes, "ceux qui souffrent le plus", résume Marc Touati, économiste chez Global Equities, cette perspective est douloureuse. "Les faucons sont dangereux, juge même l’économiste. Quand il y a le feu, il faut l’éteindre." Pour lui, la BCE doit aller plus loin dans l’assouplissement monétaire, et tout de suite. Il milite pour une baisse des taux à 0,75 % dès le mois de mai.
De fait, quand l’économie va mal, la baisse des taux est un outil essentiel pour relancer l’activité. Pour que les crédits redeviennent bon marché, que les entreprises qui ont besoin d’emprunter puissent réinvestir et que les ménages puissent consommer à nouveau. Pour les colombes, la situation de la zone euro ne laisse pas de doute quant à la nécessité d’utiliser de façon massive et rapide l’arme monétaire. Mois après mois, le chômage poursuit son ascension dramatique. Aujourd’hui, 14,158 millions de personnes sont sans emploi en Europe (8,9 % de la population active). Et la reprise n’est pas attendue avant 2010. "Si la BCE attend trop avant d’agir, cette reprise hypothétique sera encore retardée", alerte l’économiste Philippe Brossard.
En outre, souligne-t-il, l’attitude de la BCE contribue à faire s’apprécier l’euro par rapport au dollar. "La monnaie unique est hors de prix. C’est peut-être bon pour l’orgueil national, mais c’est très mauvais pour le commerce extérieur", signale-t-il. Pour M. Brossard, la BCE doit donc baisser ses taux. Jusqu’où ? "La seule limite c’est zéro, et encore...", estime-t-il.
Claire Gatinois
Article paru dans l’édition du 03.05.09